Nucléaire et Climat

Trop dangereuse, trop chère et trop peu accessible – l’énergie nucléaire n’est pas une solution pour résoudre la crise climatique**
Le gouvernement luxembourgeois doit continuer à s’opposer avec véhémence à l’inclusion de l’énergie nucléaire dans la taxonomie de l’UE!

En Europe et ailleurs, en raison de la crise climatique, le lobby nucléaire, ainsi que les politiciens qui lui sont proches, tentent à nouveau de promouvoir l’énergie nucléaire comme étant une composante incontournable d’un mix énergétique durable. Certains États pro-nucléaires de l’UE, en particulier la France, souhaitent que l’énergie nucléaire soit incluse dans la « taxonomie européenne1 ».

Selon les arguments en faveur, qui sont diffusés sur la scène politique, dans la presse et dans les médias sociaux, l’énergie nucléaire serait sûre, bon marché, respectueuse du climat et indispensable pour en arriver à une décarbonisation rapide de l’approvisionnement en énergie. En outre, l’énergie nucléaire rendrait l’Europe moins dépendante des importations de gaz. Cette argumentation s’appuie sur les motifs avancés par certaines organisations, entreprises et chercheurs pour lesquels l’énergie nucléaire peut bien jouer un certain rôle dans le cadre de l‘approche vers un avenir climatiquement neutre.

Or, la pratique réelle du nucléaire civil au cours des dernières décennies prouve clairement qu’une telle voie est indissociable de problèmes et de risques considérables, et qu’elle ne peut satisfaire à l’objectif envisagé, ni aujourd’hui, ni à l’avenir! Comme dans le contexte de la crise climatique, les risques et coûts réels du nucléaire liés à la production d’électricité et le stockage des déchets sont tout simplement reportés aux générations futures.

Trop dangereuse: dans les centrales nucléaires, des accidents catastrophiques entraînant d’importantes pollutions radioactives sont possibles à tout moment. Non seulement les désastres nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima l’ont bien mis en évidence, mais également un grand nombre d’incidents et d’accidents de moindre importance. Les coûts consécutifs à la catastrophe de Fukushima gagnent toujours en ampleur et sont désormais estimés – selon les études – entre 223 et 758 milliards de dollars américains!

 


[1] Le but de cette taxonomie est d’orienter les investissements vers des activités durables et de définir les secteurs pouvant contribuer à atteindre les objectifs climatiques européens. Les investisseurs publics et privés seraient ainsi à même de réorienter leurs investissements. Une majeure partie de cette taxonomie est connue depuis avril/mai. L’évaluation de techniques controversées comme le nucléaire a alors été reportée mais devrait être publiée sous peu.

Sans compter le risque permanent d’une utilisation abusive de matières fissiles de qualité militaire (uranium hautement enrichi ou plutonium) à des fins terroristes et pour les programmes illégaux de bombes nucléaires élaborés par certains États.

En outre, le stockage définitif sécurisé des déchets hautement radioactifs à vie longue provenant des réacteurs (qu’ils soient grands ou petits) doit être garanti pendant un million d’années (!), ce qui est tout simplement impossible!

 

Trop chère : malgré l‘immense soutien financier au moyen de fonds publics, l’exploitation commerciale de l’énergie nucléaire n’a jamais permis d’en faire une source d’énergie compétitive. Même l’exploitation continuelle des centrales nucléaires existantes devient de moins en moins rentable. Qui plus est, le démantèlement des centrales nucléaires et le stockage définitif « éternel » des déchets radioactifs déjà mentionné, entraînent des coûts considérables, difficilement chiffrables à l’heure actuelle, qui doivent être supportés par les contribuables. Les coûts de construction de nouvelles centrales nucléaires n’ont cessé d’augmenter depuis les années 1960 et la viabilité économique n’a jamais été atteinte, ceci malgré le vote de lois « pro-nucléaire », de maintes subventions et de garanties gouvernementales. L’entreprise française de construction de centrales nucléaires Areva s’est vue acculée à la faillite en 2018; elle a dû être sauvée par l’État français et n’existe plus sous son ancienne forme. L’entreprise américaine Westinghouse (après tout l‘inventrice de la conception du réacteur à eau pressurisée occidental) a déposé le bilan en 2017. Les habitants de South-Carolina aux États-Unis doivent combler un trou de 9 milliards de dollars après qu’un producteur d’énergie a abandonné la construction de deux réacteurs au bout de presque 10 ans, … tandis que la construction en cours de deux nouvelles centrales nucléaires en Géorgie (toujours aux États-Unis) ont déjà coûté plus de 30 milliards de dollars.

Les analyses en termes d’économie énergétique démontrent que la réalisation d’objectifs ambitieux de protection du climat (réchauffement planétaire de 1,5° à moins de 2 °C) est non seulement possible sans le nucléaire, mais qu’elle est même nettement moins chère et plus proche des citoyen/nes avec le recours aux sources d‘énergies renouvelables.

Trop lente : en présence d‘une stagnation ou d‘un déclin de la construction de réacteurs nucléaires (hormis la Chine), et compte tenu d’une durée de planification et de construction de deux décennies (voire même plus), de l’explosion des coûts allant jusqu‘au quadruple et quintuple (centrales nucléaires en France (Flamanville), en Finlande) ainsi que des faibles innovations techniques prévisibles pour les 15 années à venir, l’énergie nucléaire ne joue aucun rôle dans la période qui est pertinente pour la lutte contre la crise climatique. Le nucléaire ne représente que 10 % du besoin en électricité dans le monde entier et ne couvre que 4 % de l’énergie primaire.

Il faudrait par conséquent multiplier le nombre de réacteurs, des 415 qui sont actuellement en activité (juillet 2021) à plusieurs milliers, tout en tenant compte des coûts, des dangers et de l’approvisionnement en uranium. Cependant, la durée de construction d’un seul nouveau réacteur EPR est déjà de 14 ans en France, le développement du concept EPR a commencé il y a 30 ans (1992) et les coûts sont aujourd‘hui estimés à la coquette somme de 19,1 milliards € par la cour des comptes française, alors qu’initialement ils devaient s’élever à « seulement » 3,3 milliards! En outre, 53 projets de construction sont en cours dans le monde, contre quelque 200 arrêts de réacteurs d’ici 2030. Même les concepts SMR (Small Modular Reactors) et les concepts de centrales nucléaires de « 4ème génération », tant vantés dans le débat actuel, ne sont pas encore arrivés à maturité du point de vue technologique et sont donc loin d’une potentielle exploitation commerciale.

Une vision à trop court terme : les centrales nucléaires en service nécessitent d’énormes quantités d’eaux de refroidissement. Ce qui explique pourquoi les sites des centrales nucléaires se trouvent toujours près des rivières ou des océans. Si la température de ces eaux augmente pendant les périodes de fortes chaleur prolongées, la situation devient problématique : l’eau provenant des rivières et des mers est alors tout simplement trop chaude pour pouvoir refroidir la centrale. Un autre problème entraîné par les vagues de chaleur réside dans la baisse du débit des rivières. C’est ainsi qu’en France, des centrales nucléaires ont dû être arrêtées à plusieurs reprises parce que la rivière adjacente ne transportait plus assez d’eau. Cela signifie donc clairement que les centrales nucléaires ne sont pas (non plus) à l’abri de la crise climatique !

Trop lourde : le plus grand défi de la réorientation incontournable de notre approvisionnement énergétique consiste à surmonter la résistance (lock-in) de l’ancien système dominé par les centrales fossiles. Le nucléaire n’est pas en mesure de promouvoir ce processus de conversion; il constitue plutôt une entrave, en réduisant l’innovation et l’investissement. L’hydrogène nucléaire, appelé familièrement hydrogène « rose », n’est pas une option – ni en termes techniques, ni en termes économiques – pour accroître l‘exploitation des centrales nucléaires, et il est tout sauf écologique et durable. Finalement, la sortie du nucléaire devient également une condition sine qua non à la réussite de la recherche d’un dépôt définitif.

Conclusion : au vu de la crise climatique et du créneau temporel qui se réduit, le nucléaire n’est pas de nature à contribuer de manière significative au développement d’un approvisionnement énergétique respectueux du climat. L’énergie nucléaire est trop dangereuse, trop chère et trop peu accessible! Au-delà, elle bloque le processus de la transformation socio-écologique indispensable, sans lequel les objectifs ambitieux de protection du climat ne peuvent être atteints. L’argument d’une plus grande indépendance de l’approvisionnement énergétique européen au moyen du développement du nucléaire ne tient pas non plus la route face à une analyse plus approfondie: car tout compte fait, la matière première nécessaire provient toujours de régions et d’États politiquement instables et non démocratiques tels que le Niger ou le Kazakhstan.

 

Pour toutes ces raisons, l’énergie nucléaire ne peut pas être qualifiée de solution à la crise climatique, finalement aussi parce qu’elle sera elle-même de plus en plus affectée par les impacts de cette crise climatique dans le futur.

 

Le Comité national d’action contre le nucléaire se félicite expressément du fait que le gouvernement luxembourgeois réitère clairement son opposition à la promotion de l’énergie nucléaire par le biais de financements publics et qu’il noue des alliances au niveau international.

 

Néanmoins, la potentielle inclusion de l’énergie nucléaire comme source d’énergie durable dans la taxonomie de l’UE constituerait un sérieux revers, et se ferait au détriment d‘une transition énergétique rentable et écologiquement durable. Nous lançons donc un appel pressant à tous les représentants du gouvernement luxembourgeois pour qu’ils/elles redoublent leurs efforts dans les semaines à venir et qu’ils/elles empêchent le greenwashing nucléaire européen par tous les moyens qui sont à leur disposition!

 

 

**Ce communiqué de presse est basé en partie sur une contribution au débat de Scientists for Future